CEDH et autres textes

, par  Sylvia Preuss-Laussinotte , popularité : 56%

différentes références

DDHC 1789

  • Art. 10. -Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la Loi.
  • Art. 11. -La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’Homme : tout Citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre à l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par la Loi.

Premier amendement Constitution américaine(1791)

Le Congrès ne fera aucune loi qui touche l’établissement ou interdise le libre exercice d’une religion, ni qui restreigne la liberté de la parole ou de la presse, ou le droit qu’a le peuple de s’assembler paisiblement et d’adresser des pétitions au gouvernement pour la réparation des torts dont il a à se plaindre.

article 19 de la DUDH de 1948 :

« Tout individu a droit à la liberté d’opinion et d’expression ce qui implique le droit de ne pas être inquiété pour ses opinions et celui de chercher, de recevoir et de répandre, sans considération de frontières, les informations et idées par quelque moyen que ce soit ».

article 19 du Pacte international sur les droits civils et politiques

  • 1° Nul ne peut être inquiété pour ses opinions
  • 2° Toute personne a droit à la liberté d’expression, ce droit comprend la liberté de rechercher, de recevoir et de répandre des informations et des idées de toute espèce, sans considération de frontière, sous un forme orale, écrite, imprimée ou artistique, ou par tout autre moyen de son choix.
  • 3° L’exercice des libertés prévues au paragraphe 2 du présent article comporte des devoirs spéciaux et des responsabilités spéciales. Il peut en conséquence être soumis à certaines restrictions qui doivent toutefois être expressément fixées par la loi et qui sont nécessaires :
    a/ au respect des droits ou de la réputation d’autrui

b/ à la sauvegarde de la sécurité nationale, de l’ordre public, de la santé ou de la moralité publiques »

article 20 du PICDP

  • 1. Toute propagande en faveur de la guerre est interdite par la loi.
  • 2. Tout appel à la haine nationale, raciale ou religieuse qui constitue une incitation à la discrimination, à l’hostilité ou à la violence est interdit par la loi

Réserve USA  : L’article 20 n’autorise pas les États-Unis et n’exige pas d’eux qu’ils adoptent des lois ou autres mesures de nature à restreindre la liberté d’expression et d’association protégée par la Constitution et les lois des États-Unis.

CONVENTION EUROPEENNE DES DROITS DE L’HOMME

article 10 de la CEDH :

  • 1° Toute personne a droit à la liberté d’expression. Ce droit comprend la liberté d’opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu’il puisse y avoir ingérence d’autorités publiques et considération de frontières. Le présent article n’empêche pas les Etats de soumettre les entreprises de radiodiffusion, de cinéma ou de télévision à un régime d’autorisation.
  • 2° L’exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l’intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l’ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d’autrui, pour empêcher la divulgation d’informations confidentielles ou pour garantir l’autorité et l’impartialité du pouvoir judiciaire

- Article 15 – Dérogation en cas d’état d’urgence

  • 1. En cas de guerre ou en cas d’autre danger public menaçant la vie de la nation, toute Haute Partie contractante peut prendre des mesures dérogeant aux obligations prévues par la présente Convention, dans la stricte mesure où la situation l’exige et à la condition que ces mesures ne soient pas en contradiction avec les autres obligations découlant du droit international.
  • 2.La disposition précédente n’autorise aucune dérogation à l’article 2, sauf pour le cas de décès résultant d’actes licites de guerre, et aux articles 3, 4 (paragraphe 1) et 7.
  • 3.Toute Haute Partie contractante qui exerce ce droit de dérogation tient le Secrétaire Général du Conseil de l’Europe pleinement informé des mesures prises et des motifs qui les ont inspirées. Elle doit également informer le Secrétaire Général du Conseil de l’Europe de la date à laquelle ces mesures ont cessé d’être en vigueur et les dispositions de la Convention reçoivent de nouveau pleine application.

Article 17 – Interdiction de l’abus de droit

Aucune des dispositions de la présente Convention ne peut être interprétée comme impliquant pour un Etat, un groupement ou un individu, un droit quelconque de se livrer à une activité ou d’accomplir un acte visant à la destruction des droits ou libertés reconnus dans la présente Convention ou à des limitations plus amples de ces droits et libertés que celles prévues à ladite Convention.

JURISPRUDENCE ARTICLE 10 CEDH

PRINCIPE

Cour européenne DDH, Arrêt Handyside, 4 novembre 1976

49. (…) La liberté d’expression constitue l’un des fondements essentiels d’une société démocratique, l’une des conditions primordiales de son progrès et de l’épanouissement de chacun. Sous réserve du paragraphe 2 de l’article 10 (art. 10-2), elle vaut non seulement pour les "informations" ou "idées" accueillies avec faveur ou considérées comme inoffensives ou indifférentes, mais aussi pour celles qui heurtent, choquent ou inquiètent l’Etat ou une fraction quelconque de la population. Ainsi le veulent le pluralisme, la tolérance et l’esprit d’ouverture sans lesquels il n’est pas de "société démocratique". Il en découle notamment que toute "formalité", "condition", "restriction" ou "sanction" imposée en la matière doit être proportionnée au but légitime poursuivi.

Débat politique

Renaud c. France, 25 février 2010, Req. n° 13290/07

  • « L’invective politique déborde souvent sur le plan personnel, [il ne s’agit là que des] aléas du jeu politique et du libre débat d’idées, garantes d’une société démocratique (…) les élus [doivent] faire preuve d’une tolérance particulière quant aux critiques dont ils font l’objet » en particulier lorsque « le débat porte sur un sujet émotionnel tel que le cadre de vie des riverains d’un projet immobilier »
  • (§ 40). La Cour étend ici au requérant le statut traditionnellement protecteur d’ « élu d’opposition » en relevant que s’il ne s’agissait pas ici « de la liberté d’expression d’un membre de l’opposition à proprement parler, ces propos relèvent de l’expression de l’organe représentant d’une association portant les revendications émises par ses membres sur un sujet d’intérêt général dans le cadre de la mise en cause d’une politique municipale (…) le requérant engagé dans la vie politique locale, ainsi qu’en atteste notamment son élection ultérieure, s’inscrivait dans une démarche d’opposition politique ».

Débat d’intérêt général et expression militante

CEDH, 15 février 2005, Steel et Morris c R-U

  • 89. Le Gouvernement fait remarquer que les requérants ne sont pas des journalistes, et ne devraient par conséquent pas bénéficier du niveau élevé de protection accordé à la presse au titre de l’article 10. La Cour considère cependant que, dans une société démocratique, même des petits groupes militants non officiels, comme London Greenpeace, doivent pouvoir mener leurs activités de manière effective et qu’il existe un net intérêt général à autoriser de tels groupes et les particuliers en dehors du courant dominant à contribuer au débat public par la diffusion d’informations et d’opinions sur des sujets d’intérêt général comme la santé et l’environnement
  • 90. Il est vrai que la Cour a reconnu que « la liberté journalistique comprend aussi le recours possible à une certaine dose d’exagération, voire même de provocation » (voir, par exemple, Bladet Tromsø, § 59, ou Präger et Oberschlick c. Autriche, arrêt du 26 avril 1995, série A no 313, § 38). Elle considère ainsi que l’on doit tolérer un certain degré d’hyperbole et d’exagération dans un tract militant – et même s’y attendre (…)
  • 95. L’intérêt plus général que représente la libre circulation d’informations et d’idées sur les activités de puissantes sociétés commerciales, et l’effet inhibiteur potentiel sur autrui sont également d’importants facteurs à prendre en compte à cet égard, les groupes militants pouvant légitimement et fortement contribuer au débat public (voir, par exemple, Lingens c. Autriche, arrêt du 8 juillet 1986, série A no 103, § 44, Bladet Tromsø, § 64, et Thorgeir Thorgeirson, § 68). Le manque d’équité et d’égalité dans la procédure a donc emporté en l’espèce violation de l’article 10.

Liberté de la presse
Arrêt Sunday Times c Royaume-Uni (N° 2) 26 novembre 1991

Ces principes revêtent une importance particulière pour la presse : si elle ne doit pas franchir les bornes fixées en vue, notamment, de préserver la "sécurité nationale" ou de "garantir l’autorité du pouvoir judiciaire", il lui incombe néanmoins de communiquer des informations et des idées sur des questions d’intérêt public. A sa fonction qui consiste à en diffuser, s’ajoute le droit, pour le public, d’en recevoir. S’il en était autrement, la presse ne pourrait jouer son rôle indispensable de "chien de garde".

Presse et procédure pénale (secret instruction)
Dupuis et autres c. France(Requête no 1914/02) 7 juin 2007

La Cour estime au demeurant qu’il convient d’apprécier avec la plus grande prudence, dans une société démocratique, la nécessité de punir pour recel de violation de secret de l’instruction ou de secret professionnel des journalistes qui participent à un débat public d’une telle importance, exerçant ainsi leur mission de « chiens de garde » de la démocratie. L’article 10 protège le droit des journalistes de communiquer des informations sur des questions d’intérêt général dès lors qu’ils s’expriment de bonne foi, sur la base de faits exacts et fournissent des informations « fiables et précises » dans le respect de l’éthique journalistique (Goodwin, précité, § 39 ; Fressoz et Roire, précité, § 54 ; Colombani et autres c. France, arrêt du 25 juin 2002, § 65, CEDH 2002-V). Or, en l’espèce, il ressort des allégations non contestées des requérants que ceux-ci ont agi dans le respect des règles de la profession journalistique, dans la mesure où les publications litigieuses servaient ainsi non seulement l’objet mais aussi la crédibilité des informations communiquées, attestant de leur exactitude et de leur authenticité.

Droit à la vie privée (art. 8 CEDH) et liberté d’expression

PLON (SOCIETE) c. France 18 mai 2004

Parallèlement, plus le temps passait, plus l’intérêt public du débat lié à l’histoire des deux septennats accomplis par le Président Mitterrand l’emportait sur les impératifs de la protection des droits de celui-ci au regard du secret médical (…) En conclusion, le 23 octobre 1996, lorsque le tribunal de grande instance de Paris a statué au principal, nul « besoin social impérieux » ne justifiait plus le maintien de l’interdiction de la diffusion du « Grand Secret ». Dès lors, il y a eu violation de l’article 10 de la Convention à partir de cette date.

VON HANNOVER c. Allemagne (Requête no 59320/00) 24 juin 2004

  • (…) Cette protection de la vie privée doit être mise en balance avec la liberté d’expression garantie à l’article 10 de la Convention. (…)
  • Si la liberté d’expression s’étend également à la publication de photos, il s’agit là néanmoins d’un domaine où la protection de la réputation et des droits d’autrui revêt une importance particulière. En l’occurrence, il s’agit de la diffusion non pas « d’idées », mais d’images contenant des « informations » très personnelles, voire intimes, sur un individu. De plus, les photos paraissant dans la presse à sensation sont souvent réalisées dans un climat de harcèlement continu, entraînant pour la personne concernée un très fort sentiment d’intrusion dans sa vie privée et même de persécution.
  • Dans les affaires relatives à mise en balance de la protection de la vie privée et de la liberté d’expression dont la Cour a eu à connaître, elle a toujours mis l’accent sur la contribution que la parution de photos ou d’articles dans la presse apportait au débat d’intérêt général (…)
  • De même, s’il existe un droit du public à être informé, droit essentiel dans une société démocratique qui, dans des circonstances particulières, peut même porter sur des aspects de la vie privée de personnes publiques, notamment lorsqu’il s’agit de personnalités politiques (Plon (Société) précité, ibidem), cela n’est pas le cas en l’espèce : en effet, celui -ci se situe en dehors de la sphère de tout débat politique ou public, car les photos publiées et les commentaires les accompagnant se rapportent exclusivement à des détails de la vie privée de la requérante.
  • Comme dans d’autres affaires similaires dont elle a eu à connaître, la Cour estime dès lors qu’en l’espèce la publication des photos et des articles litigieux, ayant eu pour seul objet de satisfaire la curiosité d’un certain public sur les détails de la vie privée de la requérante, ne saurait passer pour contribuer à un quelconque débat d’intérêt général pour la société, malgré la notoriété de la requérante (Non violation article 10)

Grande Chambre AFFAIRE VON HANNOVER c. ALLEMAGNE (no 2) 7 février 2012

  • iv. Les critères pertinents pour la mise en balance
  • 108. S’agissant de la mise en balance du droit à la liberté d’expression et du droit au respect de la vie privée, les critères se dégageant de la jurisprudence qui s’avèrent pertinents en l’espèce sont énumérés ci-après.
  • α) La contribution à un débat d’intérêt général
  • 109. Un premier élément essentiel est la contribution que la parution de photos ou d’articles dans la presse apporte à un débat d’intérêt général (Von Hannover, précité, § 60 …). La définition de ce qui fait l’objet de l’intérêt général dépend des circonstances de l’affaire. La Cour estime néanmoins utile de rappeler qu’elle a reconnu l’existence d’un tel intérêt non seulement lorsque la publication portait sur des questions politiques ou sur des crimes commis (…), mais également lorsqu’elle concernait des questions relatives au sport ou aux artistes de la scène (…). En revanche, les éventuels problèmes conjugaux d’un président de la République ou les difficultés financières d’un chanteur célèbre n’ont pas été considérés comme relevant d’un débat d’intérêt général (Standard Verlags GmbH, précité, § 52, et Hachette Filipacchi Associés (ICI PARIS), précité, § 43).
  • β) La notoriété de la personne visée et l’objet du reportage
  • 110. Le rôle ou la fonction de la personne visée et la nature des activités faisant l’objet du reportage et/ou de la photo constituent un autre critère important, en lien avec le précédent. A cet égard, il y a lieu de distinguer entre des personnes privées et des personnes agissant dans un contexte public, en tant que personnalités politiques ou personnes publiques. Ainsi, alors qu’une personne privée inconnue du public peut prétendre à une protection particulière de son droit à la vie privée, il n’en va pas de même des personnes publiques (…). On ne saurait en effet assimiler un reportage relatant des faits susceptibles de contribuer à un débat dans une société démocratique, au sujet de personnalités politiques dans l’exercice de leurs fonctions officielles par exemple, à un reportage sur les détails de la vie privée d’une personne ne remplissant pas de telles fonctions (…).
  • Si, dans le premier cas, le rôle de la presse correspond à sa fonction de « chien de garde » chargé, dans une démocratie, de communiquer des idées et des informations sur des questions d’intérêt public, ce rôle paraît moins important dans le second cas. De même, si dans des circonstances particulières, le droit du public d’être informé peut même porter sur des aspects de la vie privée de personnes publiques, notamment lorsqu’il s’agit de personnalités politiques, cela n’est pas le cas, même si les personnes visées jouissent d’une certaine notoriété, lorsque les photos publiées et les commentaires les accompagnant se rapportent exclusivement à des détails de leur vie privée et ont pour seul but de satisfaire la curiosité du public à cet égard (…). Dans ce dernier cas, la liberté d’expression appelle une interprétation moins large (…).
  • γ) Le comportement antérieur de la personne concernée
  • 111. Le comportement de la personne concernée avant la publication du reportage ou le fait que la photo litigieuse et les informations y afférentes ont déjà fait l’objet d’une publication auparavant constituent également des éléments à prendre en compte (Hachette Filipacchi Associés (ICI PARIS), précité, §§ 52-53, et Sapan, précité, § 34). Toutefois, le seul fait d’avoir coopéré avec la presse antérieurement n’est pas de nature à priver l’intéressé de toute protection contre la publication de la photo litigieuse (Egeland et Hanseid, précité, § 62).
  • δ) Le contenu, la forme et les répercussions de la publication
  • 112. La façon dont la photo ou le reportage sont publiés et la manière dont la personne visée est représentée sur la photo ou dans le reportage peuvent également entrer en ligne de compte (…). De même, l’ampleur de la diffusion du reportage et de la photo peut, elle aussi, revêtir une importance, selon qu’il s’agit d’un journal à tirage national ou local, important ou faible (…).
  • ε) Les circonstances de la prise des photos
  • 113. Enfin, la Cour a déjà jugé que l’on ne peut faire abstraction du contexte et des circonstances dans lesquels les photos publiées ont été prises. A cet égard, il importe d’examiner la question de savoir si la personne visée a donné son consentement à la prise et à la publication des photos (…) ou si celles-ci ont été faites à son insu ou à l’aide de manœuvres frauduleuses (Hachette Filipacchi Associés (ICI PARIS), précité, § 47…). Il convient également d’avoir égard à la nature ou à la gravité de l’intrusion et des répercussions de la publication de la photo pour la personne visée (Egeland et Hanseid, précité, § 61, et Timciuc, décision précitée, § 150). En effet, pour une personne privée inconnue du public, la publication d’une photo peut s’analyser en une ingérence plus substantielle qu’un reportage écrit (Eerikäinen et autres, précité, § 70, et A. c. Norvège, précité, § 72).

Protection de la morale
Arrêt Handyside, 4 novembre 1976

48. (…) On ne peut dégager du droit interne des divers Etats contractants une notion européenne uniforme de la "morale". L’idée que leurs lois respectives se font des exigences de cette dernière varie dans le temps et l’espace, spécialement à notre époque caractérisée par une évolution rapide et profonde des opinions en la matière. Grâce à leurs contacts directs et constants avec les forces vives de leur pays, les autorités de l’Etat se trouvent en principe mieux placées que le juge international pour se prononcer sur le contenu précis de ces exigences comme sur la "nécessité" d’une "restriction" ou "sanction" destinée à y répondre.

LIBERTÉ ARTISTIQUE
Vereinigung Bildender Künstler c. Autriche, 25 janvier 2007

Ceux qui créent, interprètent, diffusent ou exposent une œuvre d’art contribuent à l’échange d’idées et d’opinions indispensable à une société démocratique. D’où l’obligation, pour l’Etat, de ne pas empiéter indûment sur leur liberté d’expression. Assurément, l’artiste et ceux qui promeuvent ses œuvres n’échappent pas aux possibilités de limitation que ménage le paragraphe 2 de l’article 10. Quiconque se prévaut de sa liberté d’expression assume en effet, selon les propres termes de ce paragraphe, des « devoirs et responsabilités » ; leur étendue dépend de sa situation et du procédé utilisé (Müller et autres c. Suisse, 24 mai 1988)

Liberté d’expression et sentiments religieux

OTTO PREMINGER INSTITUT c Autriche, 23 août 1994

Comme pour la "morale", il n’est pas possible de discerner à travers l’Europe une conception uniforme de la signification de la religion dans la société (voir l’arrêt Müller et autres c. Suisse du 24 mai 1988 (…) semblables conceptions peuvent même varier au sein d’un seul pays. Pour cette raison, il n’est pas possible d’arriver à une définition exhaustive de ce qui constitue une atteinte admissible au droit à la liberté d’expression lorsque celui-ci s’exerce contre les sentiments religieux d’autrui. Dès lors, les autorités nationales doivent disposer d’une certaine marge d’appréciation pour déterminer l’existence et l’étendue de la nécessité de pareille ingérence (non violation).

İ.A. c. TURQUIE, 13 septembre 2005

La Cour considère que la mesure litigieuse visait à fournir une protection contre des attaques offensantes concernant des questions considérées comme sacrées par les musulmans. Elle estime sur ce point que la prise d’une mesure à l’encontre des propos incriminés pouvait raisonnablement répondre à un « besoin social impérieux ».
La Cour conclut que les autorités ne sauraient passer pour avoir outrepassé leur marge d’appréciation à cet égard et que les motifs avancés par les tribunaux internes étaient suffisants et pertinents pour justifier une mesure à l’encontre du requérant (3 opinions dissidentes).

GINIEWSKI c. France, 31 janvier 2006

La Cour considère surtout que le requérant a voulu élaborer une thèse sur la portée d’un dogme et sur ses liens possibles avec les origines de l’Holocauste. Le requérant a ainsi apporté une contribution, par définition discutable, à un très vaste débat d’idées déjà engagé (…), sans ouvrir une polémique gratuite ou éloignée de la réalité des réflexions contemporaines (violation art. 10 unanimité)

AYDIN TATLAV c. Turquie, 2 mai 2006

La Cour observe que les passages cités dans l’arrêt de condamnation contiennent une dose de vive critique. Le requérant avance globalement que l’effet de la religion est de légitimer les injustices sociales en les faisant passer pour « la volonté de Dieu ». Il s’agit là du point de vue critique d’un non-croyant par rapport à la religion sur le terrain socio-politique. Toutefois, la Cour n’observe pas, dans les propos litigieux, un ton insultant visant directement la personne des croyants, ni une attaque injurieuse pour des symboles sacrés, notamment des Musulmans, même si, à la lecture du livre, ceux-là pourront certes se sentir offusqués par ce commentaire quelque peu caustique de leur religion (violation unanimité).

DEBAT D’INTERET GENERAL ET REGLES FRANÇAISES EN MATIERE DE DIFFAMATION

MAMERE c. France, 7 novembre 2006

La Cour souligne en premier lieu que l’on se trouve en l’espèce dans un cas où l’article 10 exige à double titre un niveau élevé de protection du droit à la liberté d’expression. En effet, d’une part, les propos tenus par le requérant relevaient de sujets d’intérêt général : la protection de l’environnement et de la santé publique (…) et la manière dont les autorités françaises ont géré ces questions dans le contexte de la catastrophe de Tchernobyl ; ils s’inscrivaient d’ailleurs dans un débat public d’une extrême importance, relatif en particulier à l’insuffisance des informations que ces dernières ont données à la population quant aux niveaux de contamination auxquels elle était exposée et aux conséquences que cela a eu en termes de santé publique. D’autre part, le requérant s’exprimait sans aucun doute en sa qualité d’élu et dans le cadre de son engagement écologiste, de sorte que ses propos relevaient de l’expression politique ou « militante » (…) La Cour en déduit que la marge d’appréciation dont disposaient les autorités pour juger de la « nécessité » de la mesure litigieuse était particulièrement restreinte.

PATUREL c France – 22 décembre 2005

35. Le requérant devait établir la véracité des propos contenus dans son ouvrage pour éviter sa condamnation. A cet égard, la Cour rappelle que, dans les affaires Lingens et Oberschlick (no 1) c. Autriche (…) elle avait distingué entre déclarations de fait et jugements de valeur. Si la matérialité des premières peut se prouver, les seconds ne se prêtent pas à une démonstration de leur exactitude. Pour les jugements de valeur, l’obligation de preuve est donc impossible à remplir et porte atteinte à la liberté d’opinion elle-même, élément fondamental du droit garanti par l’article 10 (…).
En conclusion, la Cour estime qu’en exigeant du requérant qu’il prouve la véracité des extraits litigieux, au demeurant sortis du contexte général de l’ouvrage, tout en écartant systématiquement les nombreux documents produits à l’appui de celles-ci et ce, en lui opposant de manière récurrente une prétendue partialité et une animosité personnelle principalement déduites de sa qualité de membre d’une association qualifiée de secte par la partie civile, les juridictions françaises ont excédé la marge d’appréciation dont elles disposaient. La condamnation du requérant s’analyse donc en une ingérence disproportionnée dans la liberté d’expression de l’intéressé.